Concevoir un site comme celui-ci avec WordPress.com
Commencer

Mar-Vell: un microcosme de la bédé

S’il y a un personnage que je trouve fascinant dans la bande dessinée, c’est bien Captain Marvel.

Le premier, l’original, c’était Billy Batson, orphelin d’à peine 12 ans, qui criait SHAZAM! pour se transformer en un homme adulte aux pouvoirs surhumains! Créé en 1940 et publié par Fawcett Comics, il était le super-héros le plus populaire de son époque. Plus populaire même que Superman!

Trop populaire, peut-être, parce que DC Comics a décidé de poursuivre Fawcett Comics, alléguant que Captain Marvel n’était qu’une copie de leur Superman. Toute cette saga judiciaire est fascinante en soi, et contient des retournements dignes d’une mini-série documentaire sur HBO. Ultimement, elle force Fawcett à régler hors cour, et à cesser la publication de Captain Marvel, en 1953.

Mais lorsque DC Comics achète les droits de publication du personnage et veut l’ajouter à son univers, en 1972, l’éditeur doit le renommer Shazam!, parce qu’entre-temps, une autre compagnie s’est saisie du nom Captain Marvel: Marvel Comics.

Mar-Vell, le premier Captain Marvel de Marvel Comics, est créé par Stan Lee en 1967 pour cette seule raison: s’approprier les droits sur le nom de Captain Marvel. Et cette motivation mercantile derrière sa création fait de Mar-Vell un personnage unique, hétéroclite, changeant… En un mot, bizarre. Comme la bande dessinée. Et c’est pourquoi je l’adore.

Partie 1 – Mar-Vell: Anti-héros

D’abord introduit dans Marvel Super-Heroes (v.1, 1967) #12-13, Mar-Vell obtient rapidement sa propre série, Captain Marvel (v.1, 1968). Dans ses 18 premières apparitions, le personnage passe par 5 auteurs et 6 dessinateurs différents. Son costume vert et blanc (que j’aime bien!) semble être détesté par tous ces créateurs.

Pourtant, ces premiers numéros forment un arc narratif d’une rare complexité et d’une étonnante cohésion (considérant l’époque et les circonstances). Mar-Vell est un guerrier Kree: une espèce extra-terrestre qui deviendra centrale à l’Univers Marvel, mais jusqu’alors mentionnée dans 2-3 numéros à peine? Le vétéran et héros de guerre Mar-Vell est envoyé sur Terre pour déterminer si les Humains deviendront une menace à l’empire Kree et, si c’est le cas, les anéantir. Mais Mar-Vell se retrouve toujours dans des situations où il doit sauver l’Humanité, pour préserver sa fausse identité et continuer sa mission. En arrière-plan, le mythos des mystérieux Kree se développe lentement, pendant que des intrigues politiques remettent en question la loyauté du vaillant Captain Marvel…

L’art de ces numéros est également magnifique. Gene Colan et Don Heck démontrent tout leur talent avec des dispositions de pages et de cases novatrices, et capturent de manière saisissante autant les poses héroïques que les scènes solitaires, introspectives, du héros. Tout le #15, dessiné par Tom Sutton, est une aventure psychédélique, fantasmagorique, multicolore. Les uniformes Kree, les vaisseaux spatiaux et les scènes dans l’espace ont cette saveur unique des débuts de la science-fiction. Il y a, dans ces pages, des oeuvres si exquises que, au début de mon exploration, elles m’ont fait tombé amoureux de tout le média.

Malheureusement, les ventes du magazine n’ont jamais levé. Donc l’arc narratif est conclu de manière satisfaisante (Dieu merci!), puis Roy Thomas reprend les rênes de la série, et réinvente le personnage pour le sauver de l’annulation.

Ce ne sera pas la dernière fois.

Partie 2 – The NEW Captain Marvel

L’idée de Roy Thomas, c’est de recréer la dynamique qui existait entre Billy Batson et le Captain Marvel original: un adolescent ordinaire qui, à tout moment, peut se transformer en super-héros.

Donc Mar-Vell se retrouve prisonnier de la negative zone: une dimension bizarre sans temps ni espace. Pour en sortir, il faut que Rick Jones frappe des bracelets magiques ensemble, puis Mar-Vell et lui échangent leurs atomes. Captain Marvel apparaît dans le vrai monde, et Rick Jones se retrouve dans la negative zone, jusqu’à ce que Mar-Vell frappe les bracelets de nouveau.

Le problème, c’est que Rick Jones est déjà son propre personnage. Si vous ne le connaissez pas, Rick Jones est le sidekick et ami de Bruce Banner/Hulk. Il devient aussi le sidekick de Captain America pendant quelques numéros. Il accompagne même les Avengers (sans jamais en devenir un) dans leurs premières aventures. C’est un adolescent qui cherche désespérément à appartenir à ce monde de super-héros, à y mériter sa place.

Captain Marvel (v.1 1968), #17

Donc Mar-Vell et lui deviennent liés par cette relation où ils échangent leurs atomes, mais Rick Jones se retrouve à être un simple spectateur des exploits héroïques de Mar-Vell: un spectateur impuissant, pris dans l’inconfortable negative zone. La relation dysfonctionnelle entre ces deux protagonistes évoluera et maturera sous d’autres auteurs, mais sous la plume de Thomas, elle est d’un ennui!

Captain Marvel a aussi un nouveau costume rouge et bleu (que je déteste!) et que Thomas trouve plus beau, plus « classique ».

Surtout, tout à coup, on suit Rick Jones qui se cherche un appartement, Rick Jones qui veut devenir chanteur folk (à la Bob Dylan), et Rick Jones qui est ben tanné d’entendre la voix de Mar-Vell dans sa tête. C’est moins excitant, mettons, que les aventures cosmiques de Captain Marvel.

Donc la série est annulée, après le #21.

Partie 3 – Transition

À la même époque, Roy Thomas écrit aussi les Avengers. Il incorpore donc Captain Marvel à l’intrigue de sa Kree-Skrull War (Avengers (v.1, 1963), #89-97). Mais la Kree-Skrull War est moins une grande histoire racontée en plusieurs numéros, et plus des petites histoires connectées ensemble par un fil conducteur. N’empêche que l’ajout de Captain Marvel (et de Rick Jones!) donne plus d’ampleur à l’intrigue, puisque Thomas peut utiliser des personnages déjà établis.

Après ces évènements, la série Captain Marvel est relancée, deux ans après son annulation, avec le #22. Rick Jones y vit encore sa vie ennuyante… jusqu’au #25. Parce qu’au #25, Thanos entre en scène, sous la plume de Jim Starlin.

Partie 4 – Thanos War!

Jim Starlin fait partie de ces génies artistiques, de ces créateurs tellement avant-gardistes qu’ils laissent une marque indélébile sur tout le média avec seulement une poignée de numéros. (Comme Jim Steranko!)

C’est lui qui crée Thanos, dans Iron Man (v.1, 1968), #55. Il en fera l’antagoniste de Captain Marvel dans la Thanos War, une saga qui couvre Captain Marvel #25 à 33, avant de se conclure dans Avengers (v.1, 1963), #125.

Thanos cherche à acquérir le cosmic cube, qui permet de remodeler la réalité à volonté. Captain Marvel, avec l’aide des Avengers, doit l’arrêter. Aussi, Starlin redéfinit (encore) les pouvoirs de Mar-Vell, et lui confère la cosmic awareness: une sorte de savoir absolu, ou empathie infinie, avec tout l’univers.

Starlin écrit et dessine ces numéros, ce qui donne une direction claire et personnelle à cette saga. Et comme le magazine est peu populaire, Starlin a la liberté de prendre des risques et de jouer avec des idées novatrices.

Le résultat est époustouflant. La saga est épique. La scène où elle se joue est cosmique. Thanos est le premier villain intéressant que j’ai croisé dans mes lectures. Les villains de l’époque sont souvent plats et inutilement grandiloquents, alors que Thanos est posé, menaçant et cruel.

Et l’art est exceptionnel. Starlin joue aisément avec les cases, les formes et les couleurs pour créer des scènes uniques, saisissantes, surréalistes qui sont des chef-d’oeuvres en soi.

Bref, pour moi, la Thanos War représente l’une de ces perles du média que je souhaitais découvrir en explorant la bédé. Et je ne pensais pas en trouver une si belle, si tôt, et encore moins dans les pages de Captain Marvel.

Je vous invite à en lire quelques pages. Pour l’art, et pour la prose.

Partie 5 – Mar-Vell après Starlin

Jim Starlin quitte la série après le #34. Les numéros suivants, et jusqu’à la fin, sont divertissants et bien réalisés, même s’il leur manque ce petit quelque chose de magique propre à Starlin. Mar-Vell continue ses aventures cosmiques, sa relation avec Rick Jones mature, et leur dynamique devient plus intéressante.

Steve Englehart prend d’abord le relais, jusqu’au #46. Il continue d’explorer l’humanité de ces personnages, fort de son expérience sur Captain America et les Avengers. J’aime bien aussi la sensibilité de Doug Moench, qui écrit les #56; 58-62. Les dessins d’Al Milgrom (#37-53) sont également très intéressants, certains même spectaculaires. D’autres artistes prêteront aussi leur plume ou leurs crayons à Captain Marvel pour en faire une série qui, sans être exceptionnelle, continue de porter le flambeau de Starlin et qui est bien meilleure que d’autres séries de l’époque.

Captain Marvel (v.1, 1968), #46

La série est donc annulée, de nouveau, après le #62. Il y avait toutefois 5 numéros de plus déjà réalisés, qui seront publiés dans Marvel Spotlight (v.2, 1979), #1-4; 8, dont un par le légendaire Steve Ditko (le #4), co-créateur de Spider-Man et Doctor Strange, qui vaut définitivement la lecture.

Partie 6 – The Death of Captain Marvel

En bande dessinée, les morts de superhéros sont rarement définitives. La mort de Mar-Vell est l’une de ces exceptions, et elle est unique à plus d’un égard.

The Death of Captain Marvel (1982)

Jim Starlin revient pour écrire et dessiner cette dernière histoire. C’est le premier volume d’une nouvelle collection de romans graphiques lancée par Marvel. Et son titre, The Death of Captain Marvel, laisse peu de place à la surprise.

Starlin raconte cette dernière histoire lentement, minutieusement, et avec une maturité encore rare pour l’époque. C’est une histoire qui traite de vulnérabilité, d’impuissance, de deuil et de cancer. C’est une histoire profondément humaine et touchante, et les couleurs, plus atténuées et douces, lui rendent justice.

Captain Marvel est mort, vive Captain Marvel!

Après Mar-Vell, le titre de Captain Marvel sera repris par d’autres personnages de l’Univers Marvel, dont Monica Rambeau, Genis-Vell et, présentement, Carol Danvers. C’est un des aspects que je trouve fascinants dans la bande dessinée: les personnages vont et viennent (et reviennent parfois), mais le nom, le héros qu’ils incarnent, reste. Bruce Wayne n’est pas le seul Batman, Hal Jordan n’est pas le seul Green Lantern, et Peter Parker n’est pas le seul Spider-Man.

Mais Mar-Vell, en moins de 100 numéros, nous montre toute la variété et l’ecclectisme qui peuvent animer un seul et même personnage. En passant à travers différents auteurs, différents artistes et différentes époques, ces personnages deviennent une matière plastique, que chaque équipe créative peut s’amuser à remodeler et à redéfinir.

La bande dessinée, c’est une matière organique en constante évolution. Et c’est fascinant de voir ces mutations grandir et périr, avant de renaître.

Publié par Simon Cordeau

simoncordeau.net

Laisser un commentaire

Entrer les renseignements ci-dessous ou cliquer sur une icône pour ouvrir une session :

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueueurs aiment cette page :