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Paper Girls

Vous aimez Stranger Things? J’ai tellement une bonne série à vous recommander.

Papers Girls, c’est quatre filles de 12 ans qui livrent des journaux en 1988, qui se retrouvent perdues dans le temps, et qui tentent de revenir à leur époque.

Comme Stranger Things, la série est remplie de références à la culture pop qui jouent sur votre nostalgie. Les éléments de science-fiction, comme le voyage dans le temps (et quelques robots géants), animent l’histoire, avec une pointe d’horreur par moments. Les quatre filles sont débrouillardes et matures pour leur âge, mais leur histoire est quand même un récit initiatique (un coming-of-age story).

Mais ce qui rend Paper Girls particulièrement mémorable, c’est l’art. Les dessins de Cliff Chiang sont magnifiques. Et les couleurs, elles, sont époustouflantes.

J’aime tellement les couleurs de cette série. Les orange-tangerine, les nuances de mauve et de violet, les bleu tranquille et les vert presque radioactif sont un réel festin pour les yeux. Je m’en délecte. Il y a une réelle attention donnée à chaque page, à chaque scène, pour créer juste la bonne ambiance, la bonne nuance, le bon éclairage, ou la bonne tension entre les personnages.

Si j’avais à vous convaincre de l’importance et de l’impact que peuvent avoir les couleurs dans une bande dessinée lorsqu’elles sont bien choisies, je vous recommanderais cette série.

J’aime aussi, dans Paper Girls, cette exploration de la relation complexe entre le passé, le présent et le futur. Par exemple, Erin rencontre future-Erin, et est confrontée à qui elle deviendra. Et future-Erin est, par le fait même, confrontée à son passé et à ses choix. Il en émerge un contraste entre qui on veut devenir et qui on devient, face aux difficultés de la vie, à sa banalité, et face aux époques changeantes auxquelles on participe.

La nostalgie, ici, prend un caractère, une saveur différente, qui est teintée par ce dialogue à travers le temps. C’est également… déstabilisant de voir à quel point les choses ont changé, et ont changé vite depuis les années 80.

C’est drôle, je lis des bédés des années 70, où les héros et la société semblent être confrontés aux mêmes problèmes qu’en 2020. Et j’ai l’impression que rien n’a changé. Puis je lis Paper Girls, où des enfants de 1988 voient nos télés immenses et minces, des centres commerciaux abandonnés, et le langage codé, incompréhensible des médias sociaux aux nouvelles… Et j’ai exactement l’impression inverse: tout semble avoir changé.

La série est écrite par Brian K. Vaughan, qui est probablement l’un des auteurs les plus en vogue en ce moment. Ces séries sont d’immenses succès, comme Saga, un space opera avec une romance à la Roméo et Juliette, et Y: The Last Man, un monde post-apocalyptique où un virus mystérieux a tué tous les mâles de la Terre… sauf Yorick.

Même si Vaughan joue avec des thèmes narratifs qui sont familiers, ses prémisses ont toujours un angle intrigant qui rend ses séries fraîches et novatrices. Si vous voulez lire de la bédé contemporaine qui n’a rien à voir avec les super-héros, considérez commencer par ses oeuvres.

Je n’ai pas encore terminé Saga et Y: The Last Man, mais Paper Girls est, définitivement, ma préférée.

Quoi lire?

Paper Girls (2015), #1 à 30

À mettre sur votre liste?

Oui! Court, excitant, coloré et contemporain.

Bon point de départ?

Oui! Se lit tout seul après le premier numéro.

Paper Girls #1

Mon amour pour Thor

Lorsque j’ai commencé à lire des bandes dessinées Marvel, je ne croyais pas lire Thor. Après tout, on ne peut pas tout lire! Mais à force de chercher quoi lire, la série de Walt Simonson dans les années 80 (Thor (v.1, 1966), #337-382) revenait sans cesse comme l’un des apogées créatifs de l’univers Marvel. Je l’ai donc mis dans ma liste. Quand j’ai terminé la série légendaire des Fantastic Four par Stan Lee et Jack Kirby, j’ai entrepris d’en commencer le premier numéro.

Après seulement quelques pages, c’était déjà trop. Trop beau, trop mythique, trop cosmique. Comment une bande dessinée pouvait-elle en arriver là?!

C’est alors que j’ai appris que Lee et Kirby avaient une autre série légendaire: celle de Thor.

Ça prend du temps, avant qu’Asgard ne prenne vie. Mais tranquillement, comme pour les Fantastic Four, les crayons de Kirby s’aiguisent et, peu à peu, il laisse glisser les rênes de son imagination pour que celle-ci s’épanouisse.

Maintenant, j’ai presque fini de lire les 254 numéros qui séparent la première apparition du dieu du tonnerre et la série de Simonson (Journey Into Mystery (v.1, 1952), #83-125; puis Thor (v.1, 1966), #126-336). Et j’ai envie de vous raconter comment je suis tombé amoureux de Thor en chemin.

La magie de Lee et Kirby

J’adore Thor pour 3 raisons. C’est un chevalier (1) magique (2) de l’espace (3). Si ces 3 raisons vous laissent indifférent, rien dans cet article ne saura vous convaincre.

Si j’avais une seule chose à vous recommander dans le vaste catalogue Lee-Kirby, ce serait Thor. Le style grandiloquent de Stan Lee, qui devient essoufflant dans ses autres séries, est ici parfait pour le faux-Shakespeare des dieux. L’imagination immense de Jack Kirby est magnifiée, encore plus magnifique, lorsqu’elle anime un monde magique et mythologique dans les étoiles.

Odin, dans Thor #151

Cette première partie de la série voit se dessiner les contours du royaume d’Asgard et de son panthéon: le tout-puissant Odin, père de Thor, et aux décisions insondables; le loyal Balder the Brave, toujours prêt à porter l’épée; le dur Hogun the Grim et sa masse d’armes sans pitié; l’élégant Fandral the Dashing qui fait danser sa lame; le ventripotent Volstagg the Valiant, qui brille tant par sa couardise que par sa vantardise; et bien sûr Loki, God of Mischief, frère adoptif de Thor et fils indigne d’Odin.

Malgré quelques vilains oubliables, comme il y en a plein dans le Silver Age, l’ampleur de certaines histoires est inégalée pour l’époque. On découvre les Rigellians, peuple colonisateur des étoiles, mais qui doit quitter sa planète mère; Ego, la planète vivante au paysage dalinien; l’origine de Galactus, le dévoreur de planètes; Hercules, demi-dieu grec d’Olympe et fils de Zeus; et surtout le Mangog, somme personnifiée de la haine d’une civilisation entière, et qui menace de réaliser Ragnarok, la fin prophétisée d’Asgard. J’ai aussi, je dois l’avouer, un faible pour Crusher Creel, The Absorbing Man, qui prend les propriétés des matières qu’il touche.

Ego, la planète vivante, dans Thor #133
Le mythos de Thomas et Buscema

Roy Thomas (à l’écriture) et John Buscema (aux dessins) reprennent les rênes de la série après le départ de Lee-Kirby. Ils réaliseront la vaste majorité des numéros jusqu’à Simonson. Ensemble, ils continuent d’explorer le mythos de Thor, Asgard et son panthéon.

C’est surtout pendant cette partie que Thor trouve quelle genre de série elle veut être.

Certains numéros suivent Thor à New York, dans son identité secrète du Dr Donald Blake, un chirurgien boiteux. (Ce persona est d’abord créé par Odin pour enseigner l’humilité à Thor, mais ce dernier se la réapproprie. Un peu comme Superman, qui aime incarné Clark Kent pour se fondre aux humains.) On y suit Thor, dieu immortel, qui sauve New York (ou toute l’Humanité) de menaces, petites et grandes. Des histoires de superhéros « classiques », si vous voulez.

Thor (v.1, 1966), #284
Thor (v.1, 1966), #232

D’autres numéros ont Asgard pour théâtre, où les conflits entre les dieux ressemblent à des tragédies grecques, où les combats sont épiques et où les histoires s’inspirent de mythes.

Et quelques numéros, enfin, suivent Thor et ses frères d’armes dans des quêtes à travers le cosmos. Ces histoires sont un mélange surprenant, mais délicieux, d’éléments fantastiques à la Lord of the Rings et de science-fiction à la Star Trek.

Cet amalgame hétéroclite rend toute la série débordante d’imagination, toujours surprenante, et le « surréalisme bédéesque » disons, que je cherchais à découvrir en commençant mon exploration, est ici exemplifié à son meilleur. Aussi, il y a tellement de tout que c’est difficile de ne pas y trouver son compte.

Thor: Deus ex machina

Thor est également un des membres fondateurs des Avengers, et donc un personnage récurrent de la série du même nom. Avec Iron Man, Thor est explicitement le personnage le plus puissant du groupe. Les limites de ses pouvoirs, et ceux de son marteau magique Mjölnir, sont mal définis, ou plutôt, ils sont aussi forts que l’histoire le demande.

Bref, Thor agit souvent comme un deus ex machina (littéralement!), qui apparaît de nulle part, à la toute fin, une fois tous les Avengers tombés, pour sauver la situation.

Mais lorsque, après cette apparition, il est lui aussi vaincu, alors la menace n’en est que plus terrifiante. Et le prochain numéro s’annonce épique.

L’insoutenable légèreté… de la divinité

J’aime Thor, parce qu’il est chevaleresque. Il a une noblesse inébranlable, un code moral indéfectible. Si certains héros de Marvel doivent apprendre l’héroïsme et ses obligations, comme Spider-Man, cet héroïsme est inné pour Thor.

J’aime Thor, parce qu’il est un dieu qui souhaite être humain. La plupart des héros sont des humains « normaux » qui accèdent à la transcendance héroïque, à une partie du divin. Thor, lui, est déjà divin, mais aime délaisser sa divinité pour devenir un simple humain boiteux. Sauver une seule vie comme chirurgien lui apparaît presque plus valable que de sauver l’univers entier.

Thor (v.1, 1966), #267

J’aime Thor, parce que ce mélange unique de magie et de science, de fantastique et de cosmique, touche à tout l’imaginaire possible. Thor s’accroche à ce fil conducteur qui relie l’odyssée d’Ulysse, le preux chevalier qui pourfend les dragons et l’astronaute qui explore l’immensité des étoiles.

J’aime Thor, enfin, parce que tout ce que je voulais découvrir d’extravagant, de surréaliste, d’épique dans la bande dessinée s’y trouve.

Et maintenant, je m’en vais lire le Thor de Walt Simonson, les yeux grands ouverts.

Mar-Vell: un microcosme de la bédé

S’il y a un personnage que je trouve fascinant dans la bande dessinée, c’est bien Captain Marvel.

Le premier, l’original, c’était Billy Batson, orphelin d’à peine 12 ans, qui criait SHAZAM! pour se transformer en un homme adulte aux pouvoirs surhumains! Créé en 1940 et publié par Fawcett Comics, il était le super-héros le plus populaire de son époque. Plus populaire même que Superman!

Trop populaire, peut-être, parce que DC Comics a décidé de poursuivre Fawcett Comics, alléguant que Captain Marvel n’était qu’une copie de leur Superman. Toute cette saga judiciaire est fascinante en soi, et contient des retournements dignes d’une mini-série documentaire sur HBO. Ultimement, elle force Fawcett à régler hors cour, et à cesser la publication de Captain Marvel, en 1953.

Mais lorsque DC Comics achète les droits de publication du personnage et veut l’ajouter à son univers, en 1972, l’éditeur doit le renommer Shazam!, parce qu’entre-temps, une autre compagnie s’est saisie du nom Captain Marvel: Marvel Comics.

Mar-Vell, le premier Captain Marvel de Marvel Comics, est créé par Stan Lee en 1967 pour cette seule raison: s’approprier les droits sur le nom de Captain Marvel. Et cette motivation mercantile derrière sa création fait de Mar-Vell un personnage unique, hétéroclite, changeant… En un mot, bizarre. Comme la bande dessinée. Et c’est pourquoi je l’adore.

Partie 1 – Mar-Vell: Anti-héros

D’abord introduit dans Marvel Super-Heroes (v.1, 1967) #12-13, Mar-Vell obtient rapidement sa propre série, Captain Marvel (v.1, 1968). Dans ses 18 premières apparitions, le personnage passe par 5 auteurs et 6 dessinateurs différents. Son costume vert et blanc (que j’aime bien!) semble être détesté par tous ces créateurs.

Pourtant, ces premiers numéros forment un arc narratif d’une rare complexité et d’une étonnante cohésion (considérant l’époque et les circonstances). Mar-Vell est un guerrier Kree: une espèce extra-terrestre qui deviendra centrale à l’Univers Marvel, mais jusqu’alors mentionnée dans 2-3 numéros à peine? Le vétéran et héros de guerre Mar-Vell est envoyé sur Terre pour déterminer si les Humains deviendront une menace à l’empire Kree et, si c’est le cas, les anéantir. Mais Mar-Vell se retrouve toujours dans des situations où il doit sauver l’Humanité, pour préserver sa fausse identité et continuer sa mission. En arrière-plan, le mythos des mystérieux Kree se développe lentement, pendant que des intrigues politiques remettent en question la loyauté du vaillant Captain Marvel…

L’art de ces numéros est également magnifique. Gene Colan et Don Heck démontrent tout leur talent avec des dispositions de pages et de cases novatrices, et capturent de manière saisissante autant les poses héroïques que les scènes solitaires, introspectives, du héros. Tout le #15, dessiné par Tom Sutton, est une aventure psychédélique, fantasmagorique, multicolore. Les uniformes Kree, les vaisseaux spatiaux et les scènes dans l’espace ont cette saveur unique des débuts de la science-fiction. Il y a, dans ces pages, des oeuvres si exquises que, au début de mon exploration, elles m’ont fait tombé amoureux de tout le média.

Malheureusement, les ventes du magazine n’ont jamais levé. Donc l’arc narratif est conclu de manière satisfaisante (Dieu merci!), puis Roy Thomas reprend les rênes de la série, et réinvente le personnage pour le sauver de l’annulation.

Ce ne sera pas la dernière fois.

Partie 2 – The NEW Captain Marvel

L’idée de Roy Thomas, c’est de recréer la dynamique qui existait entre Billy Batson et le Captain Marvel original: un adolescent ordinaire qui, à tout moment, peut se transformer en super-héros.

Donc Mar-Vell se retrouve prisonnier de la negative zone: une dimension bizarre sans temps ni espace. Pour en sortir, il faut que Rick Jones frappe des bracelets magiques ensemble, puis Mar-Vell et lui échangent leurs atomes. Captain Marvel apparaît dans le vrai monde, et Rick Jones se retrouve dans la negative zone, jusqu’à ce que Mar-Vell frappe les bracelets de nouveau.

Le problème, c’est que Rick Jones est déjà son propre personnage. Si vous ne le connaissez pas, Rick Jones est le sidekick et ami de Bruce Banner/Hulk. Il devient aussi le sidekick de Captain America pendant quelques numéros. Il accompagne même les Avengers (sans jamais en devenir un) dans leurs premières aventures. C’est un adolescent qui cherche désespérément à appartenir à ce monde de super-héros, à y mériter sa place.

Captain Marvel (v.1 1968), #17

Donc Mar-Vell et lui deviennent liés par cette relation où ils échangent leurs atomes, mais Rick Jones se retrouve à être un simple spectateur des exploits héroïques de Mar-Vell: un spectateur impuissant, pris dans l’inconfortable negative zone. La relation dysfonctionnelle entre ces deux protagonistes évoluera et maturera sous d’autres auteurs, mais sous la plume de Thomas, elle est d’un ennui!

Captain Marvel a aussi un nouveau costume rouge et bleu (que je déteste!) et que Thomas trouve plus beau, plus « classique ».

Surtout, tout à coup, on suit Rick Jones qui se cherche un appartement, Rick Jones qui veut devenir chanteur folk (à la Bob Dylan), et Rick Jones qui est ben tanné d’entendre la voix de Mar-Vell dans sa tête. C’est moins excitant, mettons, que les aventures cosmiques de Captain Marvel.

Donc la série est annulée, après le #21.

Partie 3 – Transition

À la même époque, Roy Thomas écrit aussi les Avengers. Il incorpore donc Captain Marvel à l’intrigue de sa Kree-Skrull War (Avengers (v.1, 1963), #89-97). Mais la Kree-Skrull War est moins une grande histoire racontée en plusieurs numéros, et plus des petites histoires connectées ensemble par un fil conducteur. N’empêche que l’ajout de Captain Marvel (et de Rick Jones!) donne plus d’ampleur à l’intrigue, puisque Thomas peut utiliser des personnages déjà établis.

Après ces évènements, la série Captain Marvel est relancée, deux ans après son annulation, avec le #22. Rick Jones y vit encore sa vie ennuyante… jusqu’au #25. Parce qu’au #25, Thanos entre en scène, sous la plume de Jim Starlin.

Partie 4 – Thanos War!

Jim Starlin fait partie de ces génies artistiques, de ces créateurs tellement avant-gardistes qu’ils laissent une marque indélébile sur tout le média avec seulement une poignée de numéros. (Comme Jim Steranko!)

C’est lui qui crée Thanos, dans Iron Man (v.1, 1968), #55. Il en fera l’antagoniste de Captain Marvel dans la Thanos War, une saga qui couvre Captain Marvel #25 à 33, avant de se conclure dans Avengers (v.1, 1963), #125.

Thanos cherche à acquérir le cosmic cube, qui permet de remodeler la réalité à volonté. Captain Marvel, avec l’aide des Avengers, doit l’arrêter. Aussi, Starlin redéfinit (encore) les pouvoirs de Mar-Vell, et lui confère la cosmic awareness: une sorte de savoir absolu, ou empathie infinie, avec tout l’univers.

Starlin écrit et dessine ces numéros, ce qui donne une direction claire et personnelle à cette saga. Et comme le magazine est peu populaire, Starlin a la liberté de prendre des risques et de jouer avec des idées novatrices.

Le résultat est époustouflant. La saga est épique. La scène où elle se joue est cosmique. Thanos est le premier villain intéressant que j’ai croisé dans mes lectures. Les villains de l’époque sont souvent plats et inutilement grandiloquents, alors que Thanos est posé, menaçant et cruel.

Et l’art est exceptionnel. Starlin joue aisément avec les cases, les formes et les couleurs pour créer des scènes uniques, saisissantes, surréalistes qui sont des chef-d’oeuvres en soi.

Bref, pour moi, la Thanos War représente l’une de ces perles du média que je souhaitais découvrir en explorant la bédé. Et je ne pensais pas en trouver une si belle, si tôt, et encore moins dans les pages de Captain Marvel.

Je vous invite à en lire quelques pages. Pour l’art, et pour la prose.

Partie 5 – Mar-Vell après Starlin

Jim Starlin quitte la série après le #34. Les numéros suivants, et jusqu’à la fin, sont divertissants et bien réalisés, même s’il leur manque ce petit quelque chose de magique propre à Starlin. Mar-Vell continue ses aventures cosmiques, sa relation avec Rick Jones mature, et leur dynamique devient plus intéressante.

Steve Englehart prend d’abord le relais, jusqu’au #46. Il continue d’explorer l’humanité de ces personnages, fort de son expérience sur Captain America et les Avengers. J’aime bien aussi la sensibilité de Doug Moench, qui écrit les #56; 58-62. Les dessins d’Al Milgrom (#37-53) sont également très intéressants, certains même spectaculaires. D’autres artistes prêteront aussi leur plume ou leurs crayons à Captain Marvel pour en faire une série qui, sans être exceptionnelle, continue de porter le flambeau de Starlin et qui est bien meilleure que d’autres séries de l’époque.

Captain Marvel (v.1, 1968), #46

La série est donc annulée, de nouveau, après le #62. Il y avait toutefois 5 numéros de plus déjà réalisés, qui seront publiés dans Marvel Spotlight (v.2, 1979), #1-4; 8, dont un par le légendaire Steve Ditko (le #4), co-créateur de Spider-Man et Doctor Strange, qui vaut définitivement la lecture.

Partie 6 – The Death of Captain Marvel

En bande dessinée, les morts de superhéros sont rarement définitives. La mort de Mar-Vell est l’une de ces exceptions, et elle est unique à plus d’un égard.

The Death of Captain Marvel (1982)

Jim Starlin revient pour écrire et dessiner cette dernière histoire. C’est le premier volume d’une nouvelle collection de romans graphiques lancée par Marvel. Et son titre, The Death of Captain Marvel, laisse peu de place à la surprise.

Starlin raconte cette dernière histoire lentement, minutieusement, et avec une maturité encore rare pour l’époque. C’est une histoire qui traite de vulnérabilité, d’impuissance, de deuil et de cancer. C’est une histoire profondément humaine et touchante, et les couleurs, plus atténuées et douces, lui rendent justice.

Captain Marvel est mort, vive Captain Marvel!

Après Mar-Vell, le titre de Captain Marvel sera repris par d’autres personnages de l’Univers Marvel, dont Monica Rambeau, Genis-Vell et, présentement, Carol Danvers. C’est un des aspects que je trouve fascinants dans la bande dessinée: les personnages vont et viennent (et reviennent parfois), mais le nom, le héros qu’ils incarnent, reste. Bruce Wayne n’est pas le seul Batman, Hal Jordan n’est pas le seul Green Lantern, et Peter Parker n’est pas le seul Spider-Man.

Mais Mar-Vell, en moins de 100 numéros, nous montre toute la variété et l’ecclectisme qui peuvent animer un seul et même personnage. En passant à travers différents auteurs, différents artistes et différentes époques, ces personnages deviennent une matière plastique, que chaque équipe créative peut s’amuser à remodeler et à redéfinir.

La bande dessinée, c’est une matière organique en constante évolution. Et c’est fascinant de voir ces mutations grandir et périr, avant de renaître.

L’héroïsme selon Marvel: Introduction

Toutes les bandes dessinées de Marvel posent, dans le fond, la même question. Toutes ces histoires, tous ces super-héros, tous leurs déboires et les super-vilains qu’ils affrontent sont des variations sur la même question fondamentale.

Ça veut dire quoi, être un héros?

L’héroïsme, comme concept de bédé, peut paraître purement abstrait, sinon carrément fantaisiste. Il n’y a pas, dans la vraie vie, des humains pourvus de super-pouvoirs et qui peuvent, à eux seuls, sauver le monde.

Mais après avoir lu beaucoup de bédés Marvel, je crois désormais que la question philosophique la plus fondamentale, la question humaine la plus importante, c’est peut-être bien celle de l’héroïsme.

Voici le premier article d’une série à venir, sur l’héroïsme selon Marvel.

Pas d’histoires sans héros

D’abord, difficile de raconter une histoire sans héros. De Gilgamesh à Luke Skywalker, les héros sont omniprésents tant dans notre littérature que dans notre cinéma, nos arts visuels, notre musique ou les légendes qu’on se raconte autour d’un feu de camp. Lorsqu’on nous enseigne l’Histoire, c’est souvent à travers ces êtres humains plus grands que nature: ces rois bienveillants, ces conquérants glorieux, ces soldats qui se sacrifient pour le bien commun, ces penseurs ou ces artistes à l’inspiration ou la perspicacité divine, etc. Ces personnages foisonnent même dans les religions, où ils sont surnaturels dans leurs pouvoirs, leur sagesse, leur humilité ou leur abnégation. Qu’ils soient fictifs, réels ou mythifiés, les héros occupent une place centrale dans notre culture.

Mais ce n’est pas parce qu’une histoire a des héros qu’elle nous parle d’héroïsme. Par exemple, l’Iliade raconte d’abord la colère d’Achille. L’Odyssée raconte l’ingéniosité et les ruses d’Ulysse. Et même s’il y a des parallèles intéressants entre le sacrifice de Jésus sur la croix et celui de Socrate qui boit la ciguë, Socrate n’a pas la prétention de sauver qui que ce soit, ni même d’être imbu d’un savoir unique ou surnaturel. Il admet lui-même ne rien savoir!

Ce que je veux dire, c’est qu’il y a une différence entre raconter l’histoire d’un héros et se questionner sur la nature même de l’héroïsme. Et ce n’est pas parce qu’une histoire a un protagoniste que celui-ci est nécessairement héroïque.

Définir le « héros »

Ensuite, il faudrait définir ce qui compte comme un « héros ». C’est un terme difficile à définir, variable et construit avec plusieurs idées souvent complémentaires mais parfois contradictoires. Surtout, dans les bandes dessinées Marvel, c’est un terme en mutation, en constante évolution, selon les auteurs, l’époque et les histoires racontées.

Il y a cependant des idées fondamentales dans tous ces héros. Parmi elles, il y a le sacrifice de soi, le courage à surmonter l’adversité, la modération dans l’exercice du pouvoir, l’humilité face à la source de ce pouvoir et ses limites, mais aussi l’impératif moral d’exercer ce pouvoir pour le bien, etc.

Il y a aussi cette idée, centrale, que le héros transcende la nature humaine, mais sans être complètement divin. Dans la mythologie grecque, les héros sont une catégorie à part dans l’ordre cosmique, à mi-chemin entre les humains et les dieux, et une place spéciale leur est réservée dans l’au-delà. (Un peu comme le Valhalla de la mythologie nordique.)

Même si elle est souvent méritée par le héros, cette transcendance (et le pouvoir qui vient avec) sont plus souvent conférés que conquis, gagnés ou trouvés. Le héros peut être choisi par le divin (Jeanne d’Arc), instrumentalisé par le destin (James Holden), guidé par une prophétie (Harry Potter), ou même contraint par les circonstances (Frodo). Autrement dit, c’est quelque chose qu’on vous impose. La seule agence qu’a le héros, c’est d’accepter ou non.

Être ou ne pas être… un héros.

La Malédiction Marvel

Le héros, la plupart du temps, aime être un héros. Ses victoires sont triomphales, ses exploits sont célébrés, ses actes (et leurs conséquences) sont moralement bons, son nom est immortalisé, et les récompenses sont souvent enviables. C’est, littéralement, une bénédiction.

Et c’est là tout le génie de Stan Lee, et des héros de Marvel. Et si être un héros était, en fait, une malédiction?

Après tout, bon nombre des qualités d’un héros sont des vertus difficiles à incarner: le sacrifice, le courage, la modération, l’humilité, le respect du code moral… Il y a peu de place là-dedans pour la faillibilité humaine. Les exigences mises sur le héros sont donc une épreuve constante. Le poids des responsabilités devient un calvaire à porter. Les héros de Marvel ont pas mal tous une vie personnelle profondément dysfonctionnelle, constamment interrompue ou déraillée par les exigences du « métier ». Le « cadeau » de cette transcendance, de ce pouvoir, devient vite une malédiction.

Pourquoi, alors, accepter ce cadeau empoisonné? Pourquoi ne pas simplement… refuser d’être un héros?

Chaque héros de Marvel a une réponse bien personnelle à cette question. Et c’est ce que je me propose d’explorer dans les prochains articles de cette série.

Mon petit guide sur l’histoire de la bande dessinée (aux États-Unis)

L’histoire de la bande dessinée, c’est pas si compliqué. Voici quelques repères pour vous y retrouver.

Golden Age (1938-1956, environ)
Mickey Mouse (1930)

L’histoire de la bédé aux États-Unis commence au début du 20e siècle, surtout avec des strips (les fameux 3 ou 4 cases) dans les journaux. Popeye et Mickey Mouse y sont les plus populaires, et leur rivalité se joue tant dans les journaux que dans les cinémas, durant les débuts de l’animation.

L’industrie commence à prendre de l’ampleur dans les années 30-40, avec l’apparition des super-héros comme Superman (1938), Batman (1939), Flash (1940), Green Lantern (1940), Wonder Woman (1941) et Aquaman (1941) chez DC Comics, et Captain America (1941) et Namor (1939) chez Marvel Comics. C’est le fameux Golden Age of Comics! On y publie aussi des histoires de détective et des funnies: des histoires comiques avec des animaux anthropomorphiques.

Après la Seconde Guerre mondiale, les super-héros perdent graduellement en popularité, et bon nombre de séries sont annulées. C’est plutôt l’ère des premières séries de Romance, des feuilletons à l’eau de rose, mais aussi des premières séries d’horreur: loups-garous, frankensteins, vampires et monstres de toutes sortes… Il y a aussi des morts-vivants, mais pas encore de “zombies”. (Les “zombies” modernes apparaissent en 1968, avec Night of the Living Dead de George A. Romero.)

Silver Age (1956-1970, environ)

En fait, il y a tellement de monstres (et peut-être un peu trop de romance) que certaines têtes bien-pensantes de l’époque croient que les bandes dessinées corrompent la jeunesse! Face aux pressions publiques, l’industrie prend les devants et décide de s’auto-réguler. Elle crée le Comics Code Authority, qui interdit… pas mal tout.

Voyant leurs publications les plus populaires censurées, les éditeurs doivent trouver une nouvelle manne à exploiter. C’est le retour des super-héros! Chez DC Comics (1956), on les sort des cartons et les met au goût du jour: nouveaux costumes, nouvelles identités, nouvelles origines, etc. Chez Marvel (1961), on crée une kyrielle de nouveaux personnages qui deviennent, l’un après l’autre, des succès sans précédent. (“On” étant surtout Stan Lee et Jack Kirby.) C’est le Silver Age of Comics!

Showcase (v.1, 1956), #4
Première apparition de Barry Allen/Flash

L’art est encore simple, mais gagne lentement en dynamisme. Les histoires s’arrêtent habituellement à la fin de chaque numéro: un numéro, une histoire.

Bronze Age (1970-1984, environ)
The Defenders (v.1, 1972), #22

Dans les années 1970, le monde se complique. Ce sont les années de la Guerre du Vietnam, de Watergate et de l’impeachment de Nixon. Les Droits civiques et la Libération de la Femme sont tout jeunes et causent encore bien des heurts dans la société américaine.

Surtout, quelques flambeaux sont passés. Stan Lee prend sa retraite de l’écriture. Jack Kirby traverse chez DC Comics! Mort Weisinger, éditeur de Superman, prend sa retraite. En plus, le marché change, et les éditeurs peuvent désormais publier encore plus de séries en parallèle. Donc ils créent de nouveaux héros, et de nouveaux concepts. Toutes ces places à combler donnent leur chance à plein de jeunes artistes, qui ajoutent leur voix (et leur vision du monde) au média.

Howard the Duck (v.1, 1975), #5

L’écriture et l’art gagnent en complexité, en profondeur, en maturité. Les personnages aussi. Les moeurs se relâchent, tout comme le Comics Code Authority. Spider-Man nous parle de drogues (à la demande de Nixon!) et est le témoin impuissant de la mort de sa copine, Gwen Stacy. (Désolé pour le spoiler, mais c’est la référence que tout le monde utilise.) C’est le Bronze Age of Comics.

C’est aussi le début des premiers héros de couleur et féminins, comme Luke Cage, Falcon et Carol Danvers/Ms. Marvel chez Marvel. Mais pour de la diversité dans les artistes, il faudra attendre encore un peu.

Modern Age (1984-Aujourd’hui)

Après, c’est plus compliqué. Après, je vais juste appeler ça le Modern Age of Comics. C’est là que la bande dessinée atteint sa pleine maturité. Vers 1984.

Marvel Super Heroes Secret Wars (v.1, 1984), #1

C’est l’époque de Secret Wars (1984-1985), le premier vrai crossover de la bande dessinée. Pour la première fois, tous les grands noms de l’Univers Marvel, comme Captain America, Iron Man, Thor, les Fantastic Four, les X-Men, Spider-Man, Hulk et j’en passe, joignent leurs forces contre Doctor Doom, Ultron, Magneto, Doctor Octopus, Molecule Man et Galactus (et j’en passe). Cette série affecte également le status quo de tous ces personnages pour la suite de leurs séries respectives.

Ces évènements qui traversent tout l’univers sont désormais monnaie courante, tant chez Marvel que chez DC. Mais Secret Wars en est le premier.

C’est l’époque de Crisis on Infinite Earths (1985-1986), probablement le crossover le plus ambitieux de tout le média, où le multivers complexe et riche en personnages de DC Comics s’effondre sur lui-même. Toute la continuité de l’Univers DC y est redéfinie et simplifiée, dans un évènement-spectacle jusqu’alors sans précédent.

C’est l’époque de Watchmen (1986-1987), qui déconstruit la notion d’héroïsme jusqu’à la pervertir. Who Watches the Watchmen?

Watchmen (1986), #3
« Shall not the Judge of all earth do right? –GENESIS chapter 18, verse 25 »

C’est l’époque de Batman: The Dark Knight Returns (1986), qui ramène Batman dans un univers noir, glauque, sérieux.

Chacune de ces oeuvres définit, à sa façon, toute son époque, et redéfinit ce que la bande dessinée, comme média, peut être et peut raconter.

Après le Modern Age, tout est possible. Il existe d’autres façons de catégoriser les 4 décennies qui nous séparent des années 1980, mais je les trouve toutes plus confuses qu’utiles.

Voilà. Mon petit guide pour vous y retrouver, dans les différentes époques de la bande dessinée américaine de super-héros.

Roy Lichtenstein, le pop art et Black Widow

Je suis content d’avoir lu les aventures de Black Widow dans Amazing Adventures (v.2, 1970).

Amazing Adventures fait partie de ces séries d’anthologie que l’éditeur utilise pour tester de nouveaux personnages et concepts, finir des arcs narratifs abandonnés dans des séries annulées ou pour garder vivants des personnages qui ne sont pas assez populaires pour avoir leur propre série.

Tout le magazine est… ordinaire? Mais il contient tout de même quelques moments exceptionnels. Comme cette case dessinée par Neal Adams, simple et efficace, où on ne voit que les cheveux roux de Medusa, emblème de son pouvoir, et que j’accrocherais dans mon salon.

Ou cette scène avec Hank McCoy/Beast des X-Men, qui apprend à accepter, avec humour, sa nouvelle fourrure bleue, provoquée par une expérience qui a mal tourné.

Amazing Adventures (v.2, 1970), #6
Amazing Adventures (v.2, 1970), #14
Amazing Adventures (v.2, 1970), #5

Mais ce qui a surtout retenu mon attention, c’est cette case dessinée par le sous-apprécié Gene Colan, et qui conclut le #5. L’histoire, écrite par Roy Thomas, traite de suicide et présente Black Widow comme un personnage mystérieux et complexe: une rareté pour l’époque, surtout pour un personnage féminin. Et dans cette dernière case du numéro, on voit Black Widow au téléphone, larme sur la joue.

Tout de suite, je pense à cette fameuse toile de Roy Lichtenstein, Ohhh… Alright… (1964), que j’avais vue au Art Institute de Chicago. Après quelques recherches, je crois qu’il y a peut-être aussi une référence à ses deux Crying Girl (1963 et 1964). Puis dans les #6-7, il y a même un otage qui s’appelle… Dr. Lichenstein. Un hasard?

Je me suis rendu compte que je ne le connais pas tant que ça, Lichtenstein. En cherchant un peu plus, je suis tombé sur cet article du Guardian que je vous invite à lire: Roy Lichtenstein: from heresy to visionary.

En voici mon passage favori:

«Lichtenstein is a conceptual artist who uses conventional representations to explore his abstract concepts. He liked using cartoon symbols, such as seeing stars, or the curving lines that indicate an arm in motion, because, he said, they « related to the way the futurists would have portrayed motion. There are certain marks, like these, that I am fond of using because they have no basis in reality, only in ideas. »»

Et après avoir tout lu l’article, j’ai découvert ma nouvelle toile préférée: Masterpiece (1962). Cette toile est ironique à tellement de niveaux. Et Lichtenstein a vachement bien réussi son coup! Parce que si vous cherchez dans Google les mots «Lichtenstein» et «Masterpiece», eh bien, c’est sur cette toile que vous tombez. Ce serait difficile de trouver une meilleure représentation du mot «chef-d’oeuvre» dans la culture pop ou le pop art.

Mais c’est ça qui est intéressant, dans le fond, avec la bande dessinée et Roy Lichtenstein: la popularisation de la culture, et celle de l’art. Ou peut-être, plutôt, leur omniprésence. Lichtenstein nous rappelle que chaque case de bédé, que chaque petit bout de culture, a le potentiel d’être un chef-d’oeuvre en soi.

Les Avengers de Roy Thomas

L’Univers Marvel, c’est grand. Ça peut paraître intimidant un peu. Mais ça n’a pas de raison de l’être. C’est juste parce qu’il y a beaucoup de personnages, mais c’est, en fait, ce qui rend cet univers aussi riche et fascinant. Les Avengers en sont le meilleur exemple. Ils se retrouvent, bien souvent, au centre de cet univers. Ils sont donc de parfaits guides pour l’explorer.

Avengers (v.1, 1963), #58

Pour moi, l’Univers Marvel est devenu vivant en lisant les Avengers de Roy Thomas (#35-104). Stan Lee écrit les premiers numéros (#1-34), mais son style est trop verbeux et ses numéros sont plus difficiles à aimer. C’est sous la plume de Thomas que les histoires prennent du rythme, que les personnages gagnent en complexité et que lire devient un plaisir.

À la base, les Avengers sont une équipe de super-héros qui doivent vaincre des villains inspirés tant de drames personnels que de menaces cosmiques. Mais ce qui rend cette équipe unique, c’est l’ampleur des menaces… et le changement constant de ses membres.

Lorsque Thomas prend les rênes de la série, l’équipe compte Captain America, Scarlet Witch, Quicksilver, Hawkeye, Black Widow, Goliath et Wasp. Mais au fil des numéros s’ajoutent Hercules (oui, oui: le héros grec!), puis Black Panther, et enfin Vision. Sans compter que, parfois, Iron Man et Thor viennent faire un tour pour prêter main-forte. L’équipe est en constante permutation.

Avengers Annual #2 (1968)

Je ne vous expliquerai pas ici qui sont chacun de ces personnages. Les découvrir est la moitié du plaisir. Et ça, Thomas le comprend.

Avengers (v.1, 1963), #87

Dans le #56, il explore cette journée fatidique où Captain America s’est retrouvé congelé, à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Dans le #87, il raconte (enfin!) l’origine de ce personnage jusqu’alors mystérieux, Black Panther.

Lorsqu’il crée Ultron, un ennemi récurrent des Avengers, et Vision, un membre pérenne de l’équipe, Thomas y consacre les #54-55; 57-58 pour leur genèse, avant que l’histoire ne culmine spectaculairement dans les #66-68: un arc narratif d’une rare longueur pour l’époque.

Et à travers toute la série, les personnages cherchent leur identité. Ils se questionnent sur leurs responsabilités et sur leur place dans le monde.

Avengers (v.1, 1963), #102

D’ailleurs Thomas n’a pas peur d’aborder des sujets sérieux et difficiles, comme le suprémacisme blanc (#73-74), les mouvements de libération des femmes (#83), le maccarthysme (#92) et les tensions de la Guerre froide avec l’épique Kree-Skrull War (#89-97). Des sujets criants d’actualité en 1970… et en 2020. Plus ça change…

L’introduction de ces sujets ancrés dans le réel donne à l’Univers Marvel un souffle de maturité qui le rend plus tangible, et plus complexe.

« – -Yes, even to the Avengers Mansion itself! »
Avengers (v.1, 1963), #92
Avengers (v.1, 1963), #92

Mais ce que j’aime par-dessus tout, ce sont les visites impromptues d’autres personnages de l’Univers Marvel dans les aventures des Avengers. Comme lorsque Mr. Fantastic et Professor X tentent de capturer le Hulk au début d’un numéro, ou quand Captain Marvel se joint à l’équipe pour affronter les menaces cosmiques de la Kree-Skrull War.

C’est la beauté de cet univers commun. Les histoires deviennent souvent un collage organique, où les créateurs pigent dans les héros, les vilains et les concepts de cet univers immense, pour créer quelque chose d’unique et de personnel.

Quoi lire?

Avengers (v.1, 1963), #35 à 104; Annual 1-2

Publié de 1966 à 1972

À mettre sur votre liste?

Oui? C’est un classique intemporel.

Bon point de départ?

Peut-être. Pour plonger tête première dans l’univers.

La bédé, c’est comme la télé

La nature de la bande dessinée n’est pas bien différente de celle d’autres médias. Prenons, par exemple, la télévision.

Lire un numéro (environ 20 pages) me prend 20-30 minutes, selon la densité du texte et mon rythme de lecture. (Parfois, l’art vaut quelques minutes de contemplation.)

Captain Marvel (v.1, 1968), #15

Certaines séries durent des centaines de numéros, ponctuées par la résolution d’arcs narratifs ou les changements de l’équipe créative, comme les saisons d’une série télé. Le volume 1 des Avengers compte 402 numéros (1963 à 1996). Pour référence, les Simpsons comptent 684 épisodes (1989 à 2020).

D’autres séries, peut-être trop avant-gardistes ou, au contraire, sans inspiration créatrice, sont annulées après une poignée de numéros. Ça arrive souvent à Captain Marvel, et pour les deux raisons.

Les séries les plus populaires se transforment en franchise, comme les X-Men de Chris Claremont. Des mini-séries complètent la mythologie des personnages ou racontent une histoire plus longue dans un format circonscrit, comme Wolverine au Japon ou l’origine de Magik. Des spin-offs étendent leur univers, comme les nouvelles recrues de The New Mutants ou le retour de l’équipe originale dans X-Factor. Certains de ces personnages finissent par prendre une vie qui leur est propre, dans des aventures où ils sont la seule tête d’affiche, comme Wolverine. Pensez à une franchise comme Star Trek, avec ses nombreuses séries télé et ses films, tous interconnectés mais tous indépendants à la fois.

Et certaines histoires sont racontées en un seul volume, comme un film ou un roman singulier, avec un début et une fin bien définis.

Certaines histoires sont purement fantaisistes, d’autres sont des mémoires très personnels, comme Maus ou Persepolis. L’oeuvre de Guy Delisle s’apparente même à du journalisme, alors qu’il nous raconte Shenzhen (2000), Pyongyang (2003) ou Jérusalem (2011).

Certains auteurs utilisent le média pour explorer des idées philosophiques ou morales profondes (Who Watches the Watchmen?), alors que d’autres produisent du divertissement rempli de vacuité.

The Champions (v.1, 1975), #15
Découvrez… Swarm! Ce n’est pas assez qu’il soit un apiculteur fou fait d’abeilles. Il faut aussi qu’il soit… un Nazi!

Et comme tout média, la bande dessinée est un écosystème, un microcosme, où les idées et les concepts se répondent. Où le langage et le vocabulaire de leur expression se développent à travers le temps et grâce à l’intuition créative de ses artisans.

Dans la forme et le nombre des cases qui composent une page, je vois des angles de caméra.

Dans les couleurs et l’encrage des dessins, je vois des choix abstraits ou concrets d’expression, comme la saturation ou l’éclairage le serait dans un film.

Les onomatopés sont autant d’effets sonores.

À travers leur évolution, je vois des artistes qui apprennent à parler, et qui savent de mieux en mieux comment utiliser les bons outils pour raconter leurs histoires.

Et trop souvent, comme à la fin d’un épisode de télé, ces histoires se terminent trop tôt, sur fond noir. Alors, pas le choix, il faut lire le numéro suivant.

Daredevil (v.1, 1964), #179

Le Captain America de Steve Englehart

Introduction

À quoi y sert, Captain America?

OK, il est un athlète au zénith de la condition physique humaine, il est un combattant expérimenté, et il a un bouclier indestructible. Mais qu’est-ce qu’il a à offrir, comme personnage et comme univers, dans un monde rempli de dieux mythologiques (Thor, Hercules), de mutants puissants (X-Men), de génies technologiques (Reed Richards/Mr. Fantastic, Tony Stark/Iron Man) et de héros cosmiques (Captain Marvel, Silver Surfer)?

Au début de mon exploration, je croyais que la caractéristique la plus importante d’un héros de bédé, c’était ses pouvoirs. C’est la première chose de laquelle on parle. C’est, aussi, la plus évidente. Mais plus je lis de bédés, plus je me rends compte que les pouvoirs, c’est secondaire. Bon, c’est souvent la prémisse du personnage. C’est une excuse pour le mettre dans des scènes d’action ou un outil utile pour générer des conflits ou des histoires. Mais les pouvoirs eux-mêmes sont rarement ce qui rend un personnage intéressant.

Ce qui le rend intéressant, c’est l’histoire qu’il raconte: les conflits auxquels il fait face, les dilemmes qu’il doit résoudre, les défis qu’il doit surmonter. Et, pour le lecteur, ce sont les réflexions que suscite cette histoire, les leçons qu’on peut en tirer et, surtout, les perspectives uniques sur la nature humaine qu’on peut y apercevoir.

J’ai compris tout ça, et la pertinence de Captain America, en lisant la série de Steve Englehart.

Captain America (v.1, 1968), #167
Captain America: homme ou symbole?

Englehart est, présentement, mon auteur de bédé préféré.

Captain America (v.1, 1968), #174

Stan Lee innove parce qu’il donne des failles à ses héros pour les rendre humains. Donc ses personnages sont bidimensionnels… mais manquent encore de profondeur. Steve Englehart, lui, explore enfin la psyché de ces personnages, pour comprendre ce qui rend ces humains héroïques.

Sous la plume d’Englehart, Steve Rogers (alias Captain America) se questionne sur sa place dans un monde qui lui est étranger, où il se sent comme un anachronisme, où la distinction entre les “gentils” et les “méchants” est plus grise et complexe que durant la Seconde Guerre mondiale. Ses idéaux semblent périmés pour les États-Unis des années 70. Captain America (ce qu’il représente) est-il toujours pertinent dans l’Amérique de la Guerre froide, de Nixon, de la Guerre du Vietnam et de Watergate?

Captain America (v.1, 1968), #170

Parce que Captain America, d’abord et avant tout, est un symbole. Une légende, réifiée. Et tout le poids de cet idéal qu’il représente est porté par un homme, Steve Rogers. Mais dites-moi, quelles sont les épaules assez solides pour supporter les idéaux de toute une nation, de tout un peuple? L’homme peut-il jamais être à la hauteur de sa propre légende?

Si on inverse toutefois la question, on peut plutôt se demander: quels idéaux méritent d’être portés? Lesquels ont besoin d’épaules pour ne pas s’effondrer?

Steve Englehart confronte Captain America à toutes ces questions, et à tous ses doutes.

L’autre Captain America
Captain America (v.1, 1968), #155

Et Englehart ne perd pas de temps! Dès ses premiers numéros (#153-156), il introduit l’autre Captain America: celui des années 50, qui portait le titre pendant que l’original (Steve Rogers) était congelé.

(C’est, en fait, l’un des premiers retcons de l’Univers Marvel! Dans la continuité, Captain America est victime d’un accident à la fin de la guerre, en 1945, où il se retrouve congelé. Il est découvert et décongelé par les Avengers en 1964, dans Avengers (v.1, 1963), #4. Mais Marvel Comics avait continué de publier ses aventures durant les années 50. Alors, qui était ce Captain America? Au lieu de l’ignorer, Englehart le ramène à la vie, et le redéfinit comme un imposteur.)

Captain America (v.1,1968), #156
Vrai Cap en haut, faux Cap en bas

Cet imposteur est une image inversée de Steve Rogers/Captain America, et une perversion de ses idéaux. Son patriotisme est trempé de suprématie blanche. Son combat contre le communisme n’est que du maccarthysme mal déguisé.

Sa résurrection a peut-être pour contexte la visite de Nixon en Chine en 1972, mais ce Captain America névrosé, paranoïaque, violent et qui crache la haine, alors qu’il se drape de “patriotisme”, a quelque chose d’étrangement… pertinent dans le contexte de l’administration Trump.

Secret Empire: Cap face à Watergate
Captain America (v.1, 1968), #170

Une campagne publicitaire pour discréditer Captain America commence, alors que celui-ci est accusé de meurtre. C’est comme ça que débute Secret Empire (#169-176), une réinterprétation de Watergate par Steve Englehart.

Je veux souligner ici le caractère éminemment contemporain de Secret Empire. Watergate se déroule de 1972 à 1974. Les numéros de Secret Empire sont publiés de janvier à août 1974. Et Nixon démissionne le 8 août 1974.

Secret Empire se lit comme un film d’espionnage ou un thriller politique. Le public se retourne contre Captain America au moment où un nouveau héros louche, Moonstone, entre en scène. Des membres des X-Men disparaissent et les autres mutants sont pourchassés, alors qu’une organisation mystérieuse semble tirer les ficelles.

La conclusion de cette saga frappe Captain America au coeur même de ses idéaux. Steve Rogers voit les piliers de son identité fracassés. Peut-il encore revêtir son costume, après ce dont il a été témoin?

Captain America (v.1, 1968), #174
Nomad: en quête d’identité

Dans ses derniers numéros (#177-186), Englehart fait vivre à Steve Rogers une renaissance. Rogers abandonne le costume de Captain America, et adopte plutôt l’identité de Nomad. Ce dernier arc narratif sert d’épilogue, où Steve Rogers cherche quel héros il souhaite être, qu’est-ce qu’il souhaite représenter et défendre, avant de réadopter (vous vous en doutez bien) le costume et l’identité qui ont fait sa légende. Mais cette fois, ce ne sera pas la légende qui emprisonnera l’homme. Cette fois, ce sera l’homme qui définira la légende.

Captain America (v.1, 1968), #180
Falcon?

Je devrais, au moins, mentionner Falcon quelque part. Sam Wilson, alias Falcon, partage le titre du magazine avec Cap du #134 au #222 (1971-1978).

Captain America (v.1, 1968), #170

C’est un peu son sidekick, un peu son partenaire, un peu son propre personnage. C’est aussi l’un des premiers héros afro-américains de la bédé! Il apporte aussi au magazine une perspective différente, avec Harlem, sa pauvreté et les conflits raciaux comme décor. Cette perspective se marrie bien avec les grands thèmes qu’Englehart veut explorer.

Mais à part ça, je n’ai malheureusement pas grand chose d’intéressant à dire sur le personnage. Il est entraîné à se battre par Captain America, et il parle télépathiquement avec un faucon, Redwing. En parallèle à Secret Empire, Black Panther lui confectionne des ailes pour qu’il puisse planer (mais pas vraiment voler?). Il a constamment l’impression de ne pas être à la hauteur du légendaire Captain America et… ouin? Je lui donnerais raison?

Quoiqu’il y a peut-être, ici aussi, une réflexion pertinente sur le poids des attentes, le syndrome de l’imposteur et le besoin de prouver sa valeur…

Conclusion
Captain America (v.1, 1968), #176

Donc, à quoi y sert, Captain America?

Pour Englehart, il sert à se questionner sur le contraste entre nos idéaux et notre capacité à les réaliser. Entre la grandiloquence de nos discours moraux, et notre faillibilité comme êtres humains. Entre le manichéisme simple d’un monde idéalisé et mythifié, et les nuances grises du monde réel.

Aussi, il nous fait réaliser que ce ne sont pas seulement les failles dans nos idéaux qui rendent ces idéaux impossibles. Ce sont, surtout, les failles dans les êtres humains qui les portent.

Autrement dit, se questionner sur le monde, c’est d’abord se questionner sur soi.

Quoi lire?

Captain America (v.1, 1968), #153 à 186

Publié de 1972 à 1975

À mettre sur votre liste?

Oui? Un classique qui vaut la peine.

Bon point de départ?

Peut-être. Excellent pour découvrir Cap.

Je vous en conjure: ne commencez pas au début!

Lorsque je suis curieux à propos d’une nouvelle série ou franchise, que ce soit des séries télé, une série de films ou une série de jeux vidéos, il faut que je commence du début. Par exemple, lorsque j’ai voulu écouter Star Trek, il fallait que j’écoute tout Star Trek, du début. J’ai donc commencé par la série originale (1966), puis la série animée (1973), puis The Next Generation (1987), etc., dans l’ordre.

Cette approche est chronophage, et demande parfois de la persévérance, mais elle offre une perspective toute particulière au matériel consommé. On voit l’univers se bâtir devant nos yeux, on explore les mêmes idées et les mêmes thèmes à travers différentes lentilles et différentes époques, et on comprend mieux les références, les non-dits, les connexions et les inside jokes qui rendent cet univers complexe et vivant, presque organique. On voit aussi le média lui-même évoluer (le format, le rythme, l’esthétisme, l’écriture, etc.) à travers le temps, ce qui est fascinant en soi.

Donc lorsque j’ai voulu lire de la bande dessinée, j’ai fait la même chose! J’ai commencé par la première apparition de Superman, dans Action Comics #1 en 1938, puis j’ai lu, dans l’ordre chronologique, les apparitions des principaux personnages de l’univers DC, comme Batman, Flash, Green Lantern, Aquaman et Wonder Woman.

Ne faites pas ça. C’est une très mauvaise idée.

Je me suis rendu jusqu’en 1942 avant de jeter l’éponge. Et même si c’est intéressant de voir comment on faisait de la bédé dans les années 40, disons que ces histoires étaient loin d’être excitantes. Pour être franc, les lire était surtout une corvée.

C’est seulement après avoir écouté la vidéo How to Get Into Comic Books de Patrick (H) Willems, et lorsque j’ai lu le Green Lantern (vol. 4, 2005) de Geoff Johns, que j’ai commencé à aimer la bande dessinée.

Et ça peut être difficile de faire ce deuil-là. Le volume commence avec une toile de fond assez complexe. Hal Jordan (alias Green Lantern) vient d’être ressuscité, sa ville (Coast City) est en train d’être reconstruite après avoir été rasée, et Jordan est un paria parmi le Green Lantern Corps parce qu’il était possédé par Parallax.

Autrement dit… hein?

Obsédé comme je suis, j’ai donc fait de la recherche pour me familiariser avec ces évènements, et peut-être, ainsi, commencer plus tôt. Mais je me suis vite rendu compte qu’il me faudrait lire une dizaine d’autres séries, toutes aussi longues, et qui remontaient jusqu’à Crisis on Infinite Earths (1985).

Donc j’ai décidé de juste lire Green Lantern (v.4, 2005). Et c’était excellent. Et, finalement, les évènements passés du personnage et de son univers étaient nullement essentiels pour comprendre l’histoire. (Ce qui l’est, on vous le raconte.) Et rien ne m’empêche de lire ce passé plus tard.

Bref, ne faites pas comme moi. Il y a trop de numéros pour tout lire. Et la plupart ne valent pas la peine d’être lus de toute façon.

Pour vous donner un ordre de grandeur, Superman apparaît dans plus de 15 500 numéros. Spider-Man, dans 15 000 numéros. En 2019, j’ai lu 1 164 numéros. Et je n’avais ni un emploi à temps plein, ni des enfants.

Je vous en conjure: n’essayez pas de tout lire. Et ne commencez pas au début.